Vidéodanse : le regard de Clotilde Amprimoz (ChoréActif)
L’art chorégraphique a toujours entretenu un rapport étroit avec la vidéo. Il se propage et se partage aujourd’hui sur nos écrans, donnant à la danse une nouvelle visibilité. Loin d’être une “simple” captation d’une performance, la vidéodanse est une forme artistique à part entière, tout comme le “Tanztheater” (danse-théâtre) n’est pas du théâtre dansé ou de la danse théâtralisée. Overjoyed accompagne certain·e·s de ses représentant·e·s et partage avec vous leur regard sur cet art en plein renouveau. Rencontre avec Clotilde Amprimoz, pionnière dans la discipline : artiste audiovisuelle, réalisatrice, directrice artistique, elle a fondé il y a dix ans l’association ChoréACtif, basée à Clermont-Ferrand (63), qui développe nombre de projets interdisciplinaires mêlant danse et cinéma. La danse, Clotilde est tombée dedans quand elle était petite : classique, jazz, contemporain… jusqu’à une blessure qui la fait passer de pratiquante à spectatrice. Étudiante à Paris en Histoire et Histoire de l’art, elle se met à fréquenter assidûment, passionnément les salles de spectacle et décide de se réorienter dans un cursus universitaire de danse à Paris 8. Elle décroche un stage puis des missions régulières au Centre National de la Danse (CND) et, de rencontres en projets, s’essaie à la vidéo. Le début d’un parcours pluri et transdisciplinaire, mêlant intimement danse et vidéo, documentaire et poésie, recherche et engagement. Bonjour Clotilde, comment as-tu découvert la vidéodanse ? Entre ma pratique personnelle, mes études et mes missions au CND, j’étais immergée dans le milieu de la danse. Grâce à ma bourse d’études, je me suis équipée d’une caméra et j’ai commencé à filmer les amis danseurs qui m’entouraient. Mon cursus final à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) a nourri un regard quasi-ethnographique. J’ai réalisé un premier documentaire sur la danse et la musique particulières de Tsiganes d’Edirne (Turquie), puis obtenu quelques commandes, notamment pour le Musée national de l’histoire de l’immigration, autour de la danse et l’immigration. De tournages en festivals, j’ai participé à la première édition du festival de vidéodanse de Bourgogne, à la dimension déjà internationale, en 2010. J’ai alors découvert un réseau de réalisateur·rice·s et danseur·se·s intéressé·e·s par ce lien entre image et danse, avec qui j’ai gardé des liens. D’une part, ma sélection dans des projets européens/internationaux a conforté mon goût pour la découverte de l’ailleurs et élargi mon réseau international ; d’autre part les projets artistiques ou spectacles vivants résolument territoriaux portés par ChoréACtif sont très importants pour moi pour travailler in situ avec les personnes et les lieux que je fréquente au quotidien, pour “prendre racines”. Qu’est-ce qui t’attire particulièrement dans la vidéodanse ? J’ai été très influencée par le cinéma burlesque, j’ai d’ailleurs fait un mémoire sur Playtime de Jacques Tati, cette danse du quotidien, cette esthétique à la fois très exigeante et légère. J’aime également les artistes tels Lloyd Newson (DV8 physical theater), engagé socialement, qui s’intéresse aux « invisibles ». À Clermont-Ferrand, où j’ai choisi de m’implanter pour travailler le local, le territoire est urbain mais aussi très rural. J’ai à cœur de valoriser les métiers, la mémoire individuelle et collective, cette dimension patrimoniale immatérielle qui doit se transmettre. C’est peut-être justement pour garder une trace de cet éphémère, mais aussi l’interpréter différemment, que j’aime la vidéodanse. Le cinéma a un pouvoir sur l’imaginaire, une charge émotionnelle sur le public : inconsciemment, par l’image, on peut rendre accessible ce qui est prétendument inaccessible – comme la danse, réputée “pour les spécialistes”. Au départ, ce n’était pas volontaire : j’avais cet outil magique qui me permettait de la rendre moins éphémère, de donner un regard et une interprétation d’un spectacle ou d’une personnalité. Les premiers spectacles que j’ai filmés, je voulais tout montrer, tous les détails ! J’ai appris au fur et à mesure, instinctivement, grâce aussi à mon bagage culturel (histoire de l’art). Aujourd’hui, après avoir vu un spectacle et cerné son propos, j’essaie de saisir ce qui est important à mettre en lumière, et ça oriente ma façon de filmer : choix de plans de coupe particuliers, un détail, des regards entre les interprètes, une respiration… Tout ce qui va donner du sens pour la lecture du spectacle. Le montage est très important également. Qu’est-ce qui différencie, selon toi, une vidéodanse d’un clip ? J’ai l’impression qu’actuellement, la danse est un peu un outil esthétique, utilisé pour rendre “jolies” une scène, une musique… Pour moi, une vidéodanse, c’est avant tout un regard artistique, humain, subjectif, sur un sujet ou sur un spectacle. C’est donner son interprétation et sa vision, c’est s’engager et prendre des risques artistiquement. J’essaie de mettre en valeur des sujets sociaux qui m’interpellent ou des œuvres, et l’humain derrière tout ça. Et de choisir la meilleure façon de “raconter” cette histoire, même si ce n’est pas forcément narratif. Ce qui m’importe, c’est le fond, et la forme doit exprimer au mieux ce fond, et rester complètement libre et personnelle à chacun. Quelles sont tes influences et inspirations, en vidéodanse ou dans d’autres domaines ? Outre Tati et DV8 que j’ai déjà cités : Peter Greenaway, Akram Khan, Meg Stuart, les ballets C de la B, l’art populaire et les arts premiers ; le Decouflé des débuts : cette chorégraphie par le visuel, m’a influencée, tout comme la danse in situ de Julie Desprairies ou d’autres chorégraphes ; j’aimerais collaborer avec un réalisateur hongkongais, Maurice Lai, que j’ai rencontré en 2010. Pour résumer, le ludique-poétique du cinéma burlesque ou Decouflé, le social qui touche l’âme dans des documentaires de création de Johann Van der Keuken, Alain Cavalier ou Nicolas Philibert. Puis viennent nourrir tout ça les arts dans l’espace public, l’urbanisme, l’anthropologie, les recherches sur le corps en lien à son environnement, les connexions entre tous ces domaines. Quel regard portes-tu sur l’explosion de la vidéo comme mode de diffusion de la danse aujourd’hui ? Je suis très contente que les gens soient sensibles à cette forme d’art. Mais comme pour tout effet de mode, je m’en méfie aussi un peu, parce que, si ça peut faire émerger des talents,…