Chaque mois, nous allons à la rencontre des dirigeant·e·s et communicant·e·s du secteur pour partager leurs visions du métier, leurs bonnes pratiques et leurs motivations. Ce mois-ci, Suzy Boulmedais, responsable de la communication du Théâtre National de Strasbourg (TNS), a pris le temps d’un entretien sous le signe de la joie. Elle nous raconte son parcours et son expérience à Strasbourg, au sein de ce Théâtre et École, portés par Stanislas Nordey, qui passe le relais à Caroline Guiela Nguyen après 9 années à la direction de cette maison.
Pour commencer, peux-tu nous raconter le parcours qui t’a menée jusqu’au spectacle vivant ?
À aucun moment au début de mon parcours ou de ma formation, je n’ai imaginé travailler dans un théâtre, mais j’ai toujours su que j’avais envie d’être dans un environnement collectif, artistique et dans le secteur public : être ensemble et mettre en lien les personnes et projets, c’est ce qui me fait avancer.
J’ai suivi des études d’anglais jusqu’au Master et, après une période de travail en Angleterre et un stage dans la production musicale à Paris, je suis revenue à Strasbourg avec l’envie de me former dans la culture. J’ai donc repris une formation en management de projet culturel et j’ai effectué mon stage au TNS en 2007 aux relations presse. À cette époque, le théâtre était dirigé par Stéphane Braunschwheig autour d’un projet très contemporain, tourné vers des textes d’Europe et d’ailleurs, qui a modifié l’image classique que j’avais du théâtre. C’était alors l’avant-dernière saison avec Didier Juillard en tant que Secrétaire général et Chantal Regairaz à l’information et c’est avec eux que j’ai avancé. J’ai travaillé aussi sur les relations publiques pendant la fin de mandat et suis revenue sur la coordination entre la communication et le secrétariat général et sur la presse.
Comme j’étais bilingue, j’ai accompagné le Festival Première, projet entre le TNS et Le Maillon, avec de jeunes metteur·se·s en scène européen·ne·s. Pendant 4 jours se retrouvaient à Strasbourg des sortants d’écoles ou des premières fois d’artistes polonais, suisses, hongrois, allemands, anglais, belges ou français. On y a vu Kornel Mundruczo, Marta Gornika ou Thom Luz… Ça m’a beaucoup plu, alors j’ai continué à travailler à cet endroit de lien entre le TNS et le Maillon pendant 4 années de suite.
Ensuite, je suis partie à la Ville de Strasbourg en tant qu’attachée de presse. Puis le théâtre a ouvert un poste en tant que chargée de l’information numérique avec Julie Brochen, directrice du TNS de 2008 à 2014. Je suis revenue travailler en binôme avec Chantal Regairaz dans une équipe à l’époque composée de 2 personnes. Une expérience passionnante car tout était à inventer et réinventer, je me suis formée au numérique en 2011 – on se posait alors beaucoup de questions : comment ça fait bouger nos métiers, comment l’intégrer dans les différents métiers du théâtre, comment en faire un outil de médiation et non d’information verticale, comment le numérique vient au service de l’artistique…
L’enjeu à mon poste était de faire rayonner le TNS en ligne, de former des ambassadeurs parmi notre public, d’amener en interne chacun et chacune à être acteur de ce déploiement. Concrètement ceci s’est traduit par reconstruire le site web, fabriquer des contenus pour nos tout récents comptes sur les réseaux sociaux, créer des partenariats avec des communautés de « blogueurs », et sensibiliser les équipes au quotidien . Nous avons mené un véritable accompagnement au changement avec les 100 permanent·e·s de l’époque et les intermittent·e·s, écouté les craintes et apporté un peu de confiance par rapport à l’utilisation de leur image et leurs propos sur les réseaux. Nous avons mis en place plusieurs temps de formation ou de workshops autour de ces questions avec des intervenants extérieurs comme Pascal Desfarges.
En 2014, Stanislas Nordey arrive, avec sa passion des écritures francophones, des artistes associés, autour de valeurs fortes – diversité et parité –, une ambition pour l’École, son désir de démocratiser l’accès aux salles avec la construction d’une saison parallèle gratuite, les programmes Ier Acte destiné à favoriser une plus grande diversité sur les plateaux ou encore le Prix Bernard-Marie Koltès où les lycéens sont formés à avoir un regard de spectateurs à travers un travail collectif et l’élection d’un auteur ou d’une autrice.
La problématique de communication repose sur la manière de faire vivre ça dans la ville, dans un environnement culturel très riche, et comment exister en dehors au niveau national. Sur le plan de l’organisation du Théâtre, les choses bougent aussi. Les services communication et information fusionnent sous la responsabilité de Chantal Regairaz. Entre 2014 et 2020, je me charge du numérique et de la presse, puis deviens chargée de communication 360 avant de prendre en 2020 la responsabilité
du service.
Comment s’organise ton service ?
Nous nous occupons de la communication du théâtre et de son École avec un graphiste intégré, un chargé de communication print et web, une chargée de communication presse et web et parfois des stagiaires et des alternant·e·s pour venir renforcer l’équipe. La période Covid nous a amenés à développer de nouveaux outils de télétravail et de communication destinés au public : une chaîne de podcast toujours en ligne et un compte Instagram fourni et dynamique. Nous nous appuyons sur une équipe jeune arrivée dans les 5 dernières années et sur un photographe merveilleux qui fait toutes les images de création et de la vie à l’École, et une attachée de presse précieuse qui travaille à Paris pour faire rayonner le TNS au national, Anita Le Van.
Nous avons aussi travaillé avec des agences qui ont façonné l’identité du TNS, avant d’internaliser cet aspect, car Stanislas a un regard très fin et sait ce qu’il veut. Ponctuellement, je suis amenée à travailler avec des agences en local (Vuxe) pour les développements web ponctuels. À l’arrivée de Stanislas, nous avons mené un gros appel d’offres pour développer le site web : l’agence Les comptoirs à Paris a été retenue.
Nous pouvons compter sur des partenaires en local, des réseaux de diffusion et nous avons la chance à Strasbourg d’avoir de nombreux magazines culturels de très bonne qualité avec de très bons rédacteurs et rédactrices – c’est précieux ! : Poly, un suivi de l’actualité culturelle Grand Est, Zut et Novo, avec des enquêtes, des annonces de spectacles, Or Norme avec une diffusion élargie et un public cible complémentaire.
Quelle est la spécificité de ton travail de communicante dans le spectacle vivant ?
C’est surtout travailler dans un théâtre-école qui est particulier. Cela signifie cohabiter avec 50 jeunes artistes, acteurs et actrices, metteurs en scène, dramaturges, des régisseur·se·s son/vidéo/lumière/machinerie, des costumier·e·s qui vivent dans ce lieu et l’animent sans cesse pendant leurs 3 ans de formation gratuite.
Là par exemple, les élèves ont pris tout le hall d’assaut pour faire une performance déambulatoire. Avoir cette énergie-là, ces jeunes gens tout le temps, c’est stimulant ! Ils et elles sont d’incroyables faiseurs de théâtre de demain. Au quotidien notre attention est de faire le lien de l’école avec le théâtre, le faire grandir, et le raconter.
Toi qui a travaillé aussi en collectivité, quelle est la particularité de travailler dans un théâtre ?
C’est de faire le lien avec le monde d’aujourd’hui. Chaque soir de spectacle, on vit une expérience unique ensemble, les gens sont venus, sont ici, quelle chance ! Assise dans mon siège en salle, je me sens comme chez moi dans mon salon, je mesure notre chance d’avoir la possibilité d’être vivant et à l’écoute du monde. Le Théâtre, c’est être ensemble, porter des questions d’aujourd’hui : c’était le projet de Stanislas [Nordey] et en un sens, Caroline [Guiela Nguyen], avec les récits de vie qu’elle met en mots et en scène, a des points communs.
Le TNS, c’est un lieu de création, des salles de répétitions, des ateliers, une école et des tournées nationales et internationales. La communication interne est donc aussi extrêmement importante parce qu’on est 100 permanent·e·s sans compter les intermittent·e·s avec des longues carrières – certain·e·s ont plus de 20 ans de maison. Nous avons aussi 3 sites et il faut faire en sorte que tout le monde partout soit au courant de tout !
Est-ce que tu pourrais résumer votre manière de communiquer en 3 mots ?
L’équipe avant toute chose : on est peu et on a beaucoup à faire. Donc il faut s’assurer d’avoir les bons éléments et de leur garantir l’autonomie suffisante « le tapis rouge » pour travailler. Une réunion hebdomadaire de service permet de se coordonner et de rester agile avec les autres services, et assurer la bonne maitrise des étapes de validation. C’est pourquoi on anticipe beaucoup à travers des applications pour croiser et partager nos échéances.
Sur les réseaux sociaux, nous donnons à voir l’invisible, les coulisses et cela demande beaucoup d’investissement. Notre mission, et plus particulièrement sur la presse et les réseaux sociaux, crée de la transversalité, par essence, nous travaillons avec tout le monde.
Une grande place est évidemment donnée à l’écrit au cœur du projet de Stanislas Nordey. En communication nos programmes de salle en sont le reflet : de véritables petits bijoux composés d’entretiens exclusifs conçus par Fanny Mentré. La brochure, conséquente en écrit et en images signées Jeans-Louis Fernandez, symbolise l’identité du lieu et du projet : simplicité, épure et incarnation. C’est ce parti pris fort autour de l’image qui fait que nos communications sont immédiatement reconnaissables. D’ailleurs Jean-Louis prépare un livre à paraître à l’été 23 témoignant en images de ce foisonnement, qui a eu lieu pendant 9 années sous la riche direction de Stanislas, dont il a été témoin et qu’il a immortalisé.
Désormais, nous produisons aussi des supports plus légers, ce qui nous a permis aussi de réduire les coûts et réinvestir dans les médias avec de l’affichage et des insertions presse.
Quel est ton meilleur souvenir professionnel ?
Je crois que ça reste le Festival Premières : la découverte de l’événementiel, la confrontation des regards européens , la différence des corps et de la voix. Vivre cette aventure, c’était magique. Mais avoir réussi à maintenir la communication pendant le confinement avec le public, via nos outils de communication, c’est aussi une vraie fierté. Nous avons inventé des choses depuis nos chambres : des enregistrements de podcasts avec les artistes chez eux, des petites perles jamais vues de notre photographe, Jean-Louis Fernandez, publiées deux fois par semaine, des textes écrits pour des élèves par des auteurs et autrices associé·e·s.
Quels sont tes défis de communicante ?
Accompagner Stanislas Nordey aujourd’hui, – Caroline Guiela Nguyen demain – , pour construire et anticiper les outils nécessaires avec l’équipe communication et répondre aux besoins avec les compétences de chacun et chacune.
La question du papier et du numérique se pose sans cesse chaque saison. Plutôt l’un ? plutôt l’autre ? plutôt les deux ? dans quelle proportion ? par quel support ? Il y a quelques années, c’était impensable d’écrire des SMS au public mais aujourd’hui ça prend la place du papier. Tout comme les messageries d’Instagram ou Facebook deviennent des incontournables. On préfère MP la structure plutôt que de t’éloigner à l’accueil. Par souci écologique, on fait un travail très fin sur le nombre d’impression des programmes de salle comme de la brochure ou des dépliants de saison. On a également réduit les envois.
Penser l’image à chaque endroit : même le tee-shirt des collègues technicien•nes, est un levier de communication.
Pour finir, qu’est-ce qui te rend « Overjoyed » dans ton métier ?
Nos métiers sont ponctués de satisfactions régulières même si parfois pris par les délais, les échéances, les imprévus on le ressent moins mais en réalité, on pourrait sabrer le champagne très souvent ! Le rapport aux artistes est une chance. Surtout ici, on reçoit des équipes sur une longue période, c’est une relation hyper privilégiée, chaque moment est une opportunité de pouvoir partager quelque chose avec elles et eux.