Chaque mois, nous allons à la rencontre des dirigeant·e·s et communicant·e·s du secteur pour partager leurs visions du métier, leurs bonnes pratiques et leurs motivations. Pour ce 12e entretien, nous avons interviewé Eric Leite, directeur de la communication et de la billetterie au Monfort théâtre.
Eric Leite est issu d’une formation scientifique, avec un attrait tout particulier pour les métiers de la mer. Après un DEUG de Science, il s’est lancé dans l’univers de la voile à la Rochelle, à la recherche d’un cursus de navigateur. Il est rentré dans la Marine Nationale dans laquelle il a passé 3 ans et demi sur un bateau, comme patrouilleur à Brest. Une première expérience formatrice dans l’univers du service public.
A côté de ses études, Eric Leite cultive un attrait pour la musique et devient très actif dans l’organisation de concerts et festivals. C’est après son expérience militaire, qu’il décide de se replonger dans ce qu’il aime faire : communiquer auprès du plus grand nombre les événements qu’il organise. Sur les conseils de certains journalistes rencontrés sur ces événements, il se lance dans une licence de communication à Nanterre.
Comment avez-vous commencé votre vie professionnelle dans le spectacle vivant ?
Pendant mon cursus à Nanterre, il a fallu faire trois stages, alors je me suis retourné vers mon réseau de la Culture et j’ai fait mon stage au Théâtre de Chevilly-Larue dans le 94 relié à La Maison du Conte, puis au Groupe La Poste et dans l’Agence de Relations Presse OPHA. Cela m’a permis de découvrir des univers très différents comme celui des spiritueux ou d’Aéroport de Paris dans le cadre de l’organisation du lancement du dernier terminal E, une expérience très enrichissante.
A la fin du cursus un poste de Relations Publics et Billetterie s’ouvrait dans le théâtre de Chevilly-LaRue. L’environnement y était assez fun et j’y suis resté six ans. Mon cursus et mon appétence pour le métier m’ont permis de transformer mon poste en chargé de communication et d’accompagner les débuts de la digitalisation de sa communication. Comme c’était une toute petite équipe, je m’occupais aussi de la billetterie et du fichier, j’ai donc fait mon cheminement dans le métier avec cette dimension marketing.
Au bout de 6 ans, je me suis senti un peu limité. Avec mon Bac +3 et un bagage technique, la dimension stratégique me manquait. A l’époque, on pouvait faire un Congés Individuel de Formation, et j’ai choisi de le faire au CELSA, puis dans un cursus de Master 2 plutôt orienté dans la communication digitale culture et tourisme. J’ai découvert un monde passionnant, une approche plus universitaire portée sur la sociologie des publics avec des intervenants divers et variés. J’ai alors fait un stage de sept mois dans l’agence DDB pour continuer à apprendre avec des clients dans le tourisme, sur les problématiques de numérisation de la communication. On passait des salons et des brochures à une démarche digitale, il fallait faire des formations en interne, développer des applications en marge du site internet. En même temps, on travaillait aussi à concevoir des recommandations pour des refontes de marque.
Ensuite, j’ai pris la Direction d’une équipe de 3 personnes en charge de la Billetterie et de l’accueil au Prisme à Elancourt, à l’époque salle de l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines. J’ai restructuré le service en renommant les missions, créé le poste de Community Manager et un autre poste de chargé du « public individuel » en réalité un poste de marketing. Alors, on a refondu le site de billetterie, mis en place une billetterie électronique. C’était pour moi le baptême du feu du management d’une plus grosse équipe. Puis avec l’agglomération, j’ai suivi la mise en place d’un chantier de territoire, avec la création de la plateforme « Le kiosque » qui avait pour ambition de fédérer les lieux culturels et que nous avons mené avec la billetterie Rodrigue.
En 2015, par affinité artistique, j’ai rencontré Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel. Lorsqu’ils sont arrivés au Monfort, ils avaient une ambition forte pour le lieu et souhaitaient renforcer l’équipe et la dimension stratégique de la communication dans leur projet. On a transformé le poste et, étant seul, je me suis d’abord appuyé sur une équipe de prestataire pour m’accompagner dans la mise en œuvre.
Le Monfort théâtre est une petite famille avec une ambition de scène nationale, c’est un projet incroyable grâce auquel, on a pu faire des choses extraordinaires que l’on aurait pas pu imaginer dans un lieu comme celui-ci. Ils ont su réunir une équipe et créer une synergie qui a stimulé toute l’équipe et faire exploser le cadre. Il a fallu refondre les supports de communication et renouveler la billetterie. Il a aussi fallu harmoniser et prendre le temps de trouver le bon prestataire. On avait pas envie de continuer avec des acteurs historiques, on sentait qu’il n’y avait pas une écoute suffisante sur le web. Alors on a ouvert de nouvelles perspectives en allant chercher des acteurs en dehors du spectacle vivant, dans le domaine de la musique et de l’animation et on a rencontré l’équipe de Mapado.
Durant toute cette mise en place d’outils de simplification et de gestion, on s’est aperçu aussi qu’il manquait encore des choses sur le plan marketing pour anticiper le faire-venir et la fréquentation. Nous avions un public jeune qui est aussi un public plus volatile, non abonné, sensible aux offres mais moins fidèle. On a alors créé un nouveau poste de relations publiques dédié au marketing et au public individuel afin de mettre en place des offres et de travailler sur le territoire.
En même temps j’ai pris aussi la responsabilité de la communication du Festival Paris l’été ! en 2017 en consulting. Je n’avais jamais travaillé sur cette dimension d’événement avec une « communication coup de poing » sur un temps court et qui réunit chaque soir quasiment le même nombre de spectateur que le Monfort théâtre en 3 semaines.
Aujourd’hui, c’est la première fois que je vis un changement de direction, c’est hyper stimulant. Nous travaillons sur la refonte de l’identité graphique et artistique. L’enjeu c’est d’accompagner cette nouvelle page d’un lieu qui a une identité forte, de fidéliser un public et d’y accueillir un nouveau. Au fond ce qui fait la force du lieu, c’est sa convivialité qui ne change pas.
Est-ce que vous pourriez résumer ta manière de communiquer en 3 mots ?
Le premier mot serait « acquisition », car nous sommes en permanence à la recherche des publics susceptibles de venir voir tel ou tel spectacle. Pendant dix ans, nous avons été le temple de la comédie musicale. Mais nous sommes restés fermés longtemps. Puis, quand nous avons rouvert, la direction est partie un an plus tard. Désormais, notre enjeu est de fidéliser : nous nous renouvelons à chaque fois, car les spectateurs viennent désormais pour un spectacle plus que pour l’institution.
Le deuxième mot serait le « ton », la façon dont nous nous adressons à notre public. Lorsque nous avons revu notre charte graphique avec l’agence Base Design, nous avons retravaillé le « tone of voice » – la tonalité de nos éléments rédactionnels – de manière beaucoup moins frontale qu’avant.
Le troisième mot serait la « créativité » : que ce soit dans le design ou les opérations mises en place pour chaque spectacle, la créativité est prépondérante dans notre stratégie de communication. Aujourd’hui au sein du service, nous sommes 4 à 5 personnes, ce qui nous laisse davantage de temps pour développer des idées et mettre en œuvre de nouvelles choses.
Comment sont organisés les rôles et les missions de communication par rapport à ces difficultés ?
On a maintenu, l’affichage, essentiel pour exister sur le territoire, le web et les relations médias : c’est pour nous le triangle qui fonctionne. On a des supports papiers que l’on réduit drastiquement et pour cibler nos publics nous avons beaucoup d’insertion sur des sites médias et parfois on tente des campagnes de retargeting sur certains spectacles grand public.
Notre travail a aussi une dimension « de niche », sur le parcours de l’artiste, son lien avec les médias pour identifier la cible. A Paris c’est magique, il y a des publics pour toutes les propositions, il faut juste aller le chercher.
Comme je le disais, je m’appuie depuis mon arrivée sur une équipe de prestataires pour le mettre en œuvre : Sylvie Aubert Communication, Elektron Libre historiquement en relations médias et la graphiste Jeanne Roualet et maintenant Minsk studio qui accompagne la nouvelle identité.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur la stratégie de communication qui accompagne le nouveau projet ?
Nous allons nous concentrer sur le développement d’un public plus jeune autour d’une programmation davantage portée sur des rendez-vous musicaux, de nouvelles écritures de théâtre et cirque et des spectacles jeunes publics.
Pouvez-vous nous partager une de vos meilleures expériences professionnelles ?
Sans hésiter, ma première campagne de retargeting. J’en avais fait chez DDB mais c’était assez onéreux et j’avais du mal à trouver un prestataire adapté. Avec l’aide de Sylvie Aubert, on a rencontré Tradespotting et on a fait notre première campagne sur un spectacle de 26000 couverts et c’était très surprenant. Ça a été un enchaînement de circonstances, le spectacle était intrigant, le teaser était impactant, c’était les fêtes de fin d’année… Et à la fin de série, il y avait des publics que l’on n’avait jamais vus au Monfort théâtre, ça se voyait et c’était très satisfaisant.
Quels sont vos engagements dans le secteur, votre vision du métier qui se transforme ?
Je suis engagé dans le TMNLab depuis 2016-2017 parce que j’ai toujours cette curiosité du monde culturel et j’ai toujours été en veille sur les sujets du numérique et de la billetterie. Plus récemment, je suis entré au bureau du TMNLab avec l’envie non seulement d’accompagner la structure mais aussi le secteur dans cette révolution.
Je crois vraiment que le monde culturel va changer et que les métiers vont changer, le billettiste qui vend des billets c’est bientôt terminé. La billetterie est une source de data-analyse, de remontées d’informations et d’offres.
D’ailleurs, je constate aussi qu’il y a beaucoup de jeunes qui se forment et qui arrivent dans les structures, beaucoup plus outillés. Même si on est un peu en compétition avec le monde de la musique pour le recrutement de ses profils, il me semble que le spectacle vivant reste attractif pour les jeunes.
Pour finir, qu’est-ce qui vous rend « Overjoyed » dans votre métier ?
C’est de travailler pour ce secteur : tous les matins, je me dis que c’est du bonheur.
Quand on voit les gens sortir de la salle et s’émouvoir de ce moment partagé.
Quelque part cela signifie que chaque jour on continue à planter des petites graines. Que l’on contribue à une société harmonisée, à donner à travers les propositions artistiques, un autre visage de cette société, plutôt que celle d’une « uberisation » où tout le monde consomme, voit, écoute la même chose. Ce que l’on fait dans les théâtres, c’est magique, c’est de la dentelle.
C’est marrant, je suis fils de fonctionnaire, mon père était prof et ma mère travaillait dans les hôpitaux et en un sens, même si je ne l’ai pas voulu, j’ai l’impression que je suis dans cette filiation, parce qu’à travers mon métier, je remplis une utilité sociale.