Chaque mois, nous allons à la rencontre des dirigeant·e·s et communicant·e·s du secteur pour partager leurs visions du métier, leurs bonnes pratiques et leurs motivations. À quelques semaines de l’ouverture du Festival d’Avignon, pour le 9e entretien, nous avons interviewé Virginie de Crozé, directrice de la communication et des relations avec les publics du Festival d’Avignon depuis 2014. Un entretien riche d’expertise du spectacle vivant et d’expériences humaines, qui aurait pu durer toute la matinée…
Virginie de Crozé est issue d’un double parcours qu’elle qualifie « d’assez généraliste », en sciences humaines et en sciences politiques. Diplômée de l’IEP d’Aix-en-Provence, elle est également passionnée de danse, qu’elle a intensément pratiquée. Danse contemporaine, claquettes, classique, tango argentin, ces disciplines lui apportent une certaine maîtrise de la lecture du corps en mouvement et de l’histoire de la danse.
« La pratique permet d’aborder les choses différemment et d’appréhender les artistes de manière plus sensible : cette fragilité, nous la comprenons, nous l’entendons, c’est important pour percevoir les inquiétudes et les accompagner au mieux au plateau. »
Comment avez-vous commencé votre vie professionnelle dans la culture ?
Je n’avais aucune conscience des métiers qu’il était possible exercer dans la culture car à l’époque, il n’y avait pas encore de diplômes spécialisés dans le secteur ou je ne le savais pas. Je suis partie en Argentine pour comprendre le tango argentin, vivre avec ceux qui pratiquent cette danse sociale. Pour être immergée dans la société, danser la nuit, il fallait que je travaille le jour. J’ai donc frappé à la porte de l’Ambassade de France, au Service Culturel, et suis devenue assistante de l’attachée culturelle.
Puis, pour accompagner le travail d’un écrivain, on m’a proposé de suivre de manière posthume les traces de Louis Jouvet en Amérique Latine lors de sa tournée internationale après avoir refusé la Comédie-Française, une expérience qui m’a permis de me rapprocher de ce “personnage” du théâtre français.
Je suis ensuite devenue attachée de presse pour le festival de cinéma franco-espagnol de Buenos-Aires, avant de rentrer en France où j’ai rejoint l’équipe des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis en tant que responsable des relations avec le public. J’ai développé de nombreux projets de terrain avec les habitants du territoire.
C’est ainsi que j’ai intégré le Théâtre national de l’Odéon à la Direction des relations avec le public en 2011, en réponse à une annonce dans Télérama. J’y ai rencontré Olivier Py et Paul Rondin avec qui je partage un ADN commun, fait d’amour pour les publics et la relation à l’autre à travers les programmations mais aussi d’un engagement pour les projets.
Je retiens de ce parcours qu’il est essentiel de tenter sa chance et d’initier le mouvement lorsqu’on est jeune. Même aujourd’hui, quand nous lançons une procédure de recrutement classique, nous avons beaucoup de demandes mais restons ouverts aussi à ceux qui nous sollicitent à d’autres moments, avec un projet et une envie.
Qu’est-ce qui est particulier dans la communication du spectacle vivant aujourd’hui ?
Ce qui a profondément changé, c’est le rapport aux images, le numérique, l’audiovisuel. Ce sont les interactions quotidiennes avec le public via les réseaux sociaux. Aujourd’hui, nous alimentons en contenu 4 réseaux sociaux, le message privé a remplacé le standard téléphonique. Pour autant, nous avons une relation de très forte proximité avec les habitants, avec des remontées régulières. Nous savons très bien comment ils nous perçoivent, s’ils nous aiment ou nous critiquent, et pas seulement à travers les études de publics. C’est une chose très précieuse pour nos métiers.
Je crois aussi que c’est la fin de certains silos. Il est désormais possible de penser en “écosystème” beaucoup plus large, pour tramer les actions. Pour promouvoir un projet, affirmer une identité ou encore une marque, il faut bien entendu l’asseoir via une charte et des outils, mais il faut avant tout le traduire – dans ce sens qu’il est nécessaire de passer d’une langue à une autre. Et donc comprendre la langue de l’autre pour qu’il nous entende et que nous fassions connaissance.
A titre d’exemple, je pense aussi les projets de relation avec le public sous un angle communicationnel ou presse. Rien n’est séparé dans le sens où il nous faut faire connaître un projet à tous les publics.
Je peux citer la Web TV que nous avons développée avec les Ceméa et des JRI , un projet d’immersion dans le festival mais aussi d’éducation aux médias. Les jeunes apprennent à réaliser des sujets en rapport avec le spectacle vivant. Ils découvrent et produisent ; cela nourrit une logique de communication participative. En avril ils couvrent la préparation du Festival selon une logique de découverte des métiers et de perception de cette activité qui est aussi une économie et en juillet, ils sont sur l’artistique. À la fin, certains en font leur métier.
Autre exemple : nous éditons chaque année le guide des jeunes spectateurs, un support qui explore chaque thématique de notre programmation. Il est réalisé par des jeunes du territoire pour les jeunes festivaliers. Gratuit, il rassemble des textes, des visites, des contes, des jeux pour découvrir le Festival. Toutes les familles viennent le récupérer. Il est travaillé pendant trois mois en mode projet avec le public avant de devenir un outil de communication. Ce sont ces articulations-là qui nous permettent de dire que le public est contributeur d’une parole et d’un regard sur le Festival. Cela est d’autant plus important que, dans une logique sociale et communautaire, les publics sont plus à l’écoute de leurs pairs.
3 mots qui définissent votre communication ?
Traduction, parce que notre travail est aussi de passer d’une langue, celle de l’artiste, à une autre, celle des publics.
Transversalité des arts, des métiers et des publics : c’est ce qui contribue à créer un écosystème interdépendant.
Un autre mot très lié au Festival : historique, au sens d’une forme de loyauté par rapport à cette histoire, à une culture générale : le Festival d’Avignon n’est pas hors-sol. Il est important de mettre les choses en perspective, de repenser la décentralisation.
C’est pourquoi, lorsque nous avons dû repenser le site, nous avons travaillé sur 2 axes : comment communiquer sur le Festival, mais aussi, comment prendre en compte l’Histoire. C’est donc aussi bien un site d’information que de ressources. Dans cette logique, nombre de personnes vidant leurs maisons de famille nous ont contactés car elles y retrouvaient des choses liées au Festival. On nous a livré des boîtes avec des tirages papiers des années 50 : photos d’acteurs, affiches… Tout ce travail de récupération et d’indexation, nous l’avons réalisé avec la Bibliothèque nationale de France et réintégré dans le site internet.
Comment sont organisés les rôles et les missions de communication ?
Nous travaillons autour de deux temporalités. De septembre à décembre, nous vivons un temps de bilan, d’archivage et d’organisation pendant lequel on pose les choses pour l’année suivante. Je suis alors épaulée par une responsable des publications print et web et une adjointe avec des missions transversales qui couvrent aussi la presse locale, même si le bureau de presse Opus 64 est à Paris.
De novembre à décembre, on repense et on recrute pour préparer la montée en puissance du mois de janvier et la conférence de presse du mois de mars. Traditionnellement, c’est l’événement qui permet de donner toute la programmation et de lever le voile sur l’édition annuelle.
C’est pourquoi, dès le mois de janvier, nous avons besoin d’un renfort en communication print, avec une réelle difficulté à cet endroit car les nouvelles générations, sous l’influence du numérique, sont moins formées à la chaîne graphique et au secrétariat de rédaction. Pour autant, nous essayons d’être toujours très bons sur ce levier de communication et nous recrutons également des renforts pour le site et les e-mailing, les réseaux sociaux et la production de contenus pour la conférence de presse en lien avec les artistes.
Au printemps, l’équipe se renforce à nouveau avec un recrutement dédié à la communication des débats et des rencontres (ateliers de la pensée, rencontres publiques et professionnelles) et un responsable audiovisuel qui coordonne les productions liées à la mémoire, aux ressources, aux captations. Nous produisons un véritable “trésor” audiovisuel et nous veillons aussi à sa bonne transmission aux compagnies.
Si nous travaillons main dans la main toute l’année, à partir de fin juin et tout le mois de juillet, le bureau de presse Opus 64 est présent à Avignon. Par ailleurs, nous avons aussi beaucoup de prestataires extérieurs (rédacteurs, graphistes, UX…).
« Comment faire en sorte que la presse exerce bien son métier et parle bien de notre secteur, la culture ? »
À ce propos, comment s’élabore le travail sur l’affiche ?
Nous concevons le visuel de l’affiche avec un ou une artiste qui nous confie une de ses œuvres et fait aussi l’objet d’une exposition pendant le Festival.
Il ou elle peut nous proposer une ou plusieurs œuvres ou créer une œuvre pour nous. Ensuite, on fait un travail graphique pour apposer le logo et une couleur.
Bien sûr, chaque année, cette affiche fait énormément parler, génère beaucoup de projections ou des lectures personnelles en fonction du contexte. C’est le jeu de
la liberté artistique et de la non-censure. Dans cette discussion avec nos publics nous donnons des éléments d’explication aux personnes qui souhaitent en avoir.
Qu’est-ce qui guide votre communication ? Pourriez-vous citer un projet en particulier ?
La transversalité. Et pour parler d’un projet en particulier, je citerai “Entre le journalisme et la culture, je choisis les 2 !”. Je suis partie d’un double constat : aujourd’hui, beaucoup de journalistes partent à la retraite parfois sans être remplacés et ont de moins en moins de surface d’expression particulièrement dans la presse papier.
Par ailleurs, on voit arriver de très jeunes journalistes pour réaliser des sujets clés en main pour certains médias avec un IPhone et on s’est aperçu qu’ils ne connaissaient pas le Festival. Et même lorsqu’on prenait beaucoup de temps avec eux dans la préparation, on se retrouvait avec des sujets imprécis.
C’est pourquoi je me suis interrogée sur notre rôle vis-à-vis de la presse de demain : comment faire en sorte que la presse exerce bien son métier et parle bien de notre secteur, la culture ?
Alors on a répondu à cette question comme si l’on montait un projet de relations avec le public : nous recrutons des étudiants en journalisme en fin d’études et on leur propose une mois d’immersion au Festival. Cette année, par exemple, Marie-José Sirach de l’Humanité va les encadrer pendant une semaine, pour décrypter comment ça se passe au Festival et comment on exerce son métier de journaliste culturel. Puis, on a mis chacun en relation avec un de nos médias partenaires pour qu’ils y effectuent un stage dans le cadre du Festival. La Scène, RFI, Les Inrocks, L’Humanité, France bleu Vaucluse ou encore sceneweb ont répondu présents. D’une certaine façon, on fait en sorte de jouer un rôle dans ce grand terrain de jeu, parce que nous sommes responsables de la manière dont on construit le monde de demain : comment se forme la nouvelle génération et comment transmettre ?
Quels sont vos trois outils de com essentiels ?
Le rétroplanning. Il faut avouer que l’on dort un peu dessus et parce que le Festival est une course contre la montre.
Slack que l’on utilise pour faciliter la circulation de l’information au sein de l’équipe et comme je valide énormément de supports cela permet d’être tout suite informée quel que soit le lieu où je me trouve. Pour moi c’est important que tous les collaborateurs soient formés et connectés à ce type d’outil.Et puis, je dirais que c’est surtout le temps que je m’accorde, très tôt le matin, de lecture de tous types de magazine, supports, réseaux sociaux très éclectiques. C’est à ce moment-là que les choses se connectent, les idées, l’imagination, la compréhension et l’apprentissage d’autres écosystèmes.
Pouvez-vous partager un exemple de réussite dont vous êtes particulièrement fière ?
Je dirais que depuis 9 ans, d’un point de vue émotionnel et esthétique, j’aime beaucoup le binôme que nous formons avec le photographe du Festival. C’est une articulation entre le passé, le présent et le futur. C’est un moment important où l’on se fait, en même temps, vraiment plaisir.
Christophe Raynaud de Lage est photographe depuis 17 ans et prend les photos de toutes les générales. Il traite ses photos dans la nuit et chaque matin à 9h, on se retrouve autour de son travail pour choisir les photos que nous allons publier. C’est un moment calme, de découverte et de révélation et en même temps c’est l’image du Festival et d’une création que l’on travaille.
Pour finir, qu’est-ce qui vous rend folle de joie dans votre métier ?
La première répétition que je vois dans la Cour d’Honneur, c’est toujours incroyable. S’il est vrai que je reste très danse, je suis impressionnée par ces acteurs. J’ai la chance de pouvoir me glisser dans les gradins pour vivre les premières minutes. C’est indescriptible et je me sens très très privilégiée.